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de Fr. FuncR=Brentano

LE

Moyen Age

Frantz FUNCK-BRENTANO

Troisième édition.

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79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS

1923 Tous droits réservé

Les citations, dans les pages qui suivent, sont très nom- breuses : la plupart en français ancien ; parfois elles ont été abrégées, la langue et l'orthographe rajeunies. Les bibliographies, à la fin des chapitres, n'ont pas la préten- tion d'être complètes. Les études publiées sur l'histoire du moyen âge sont en nombre infini : ne sont indiqués que les documents et les ouvrages dont on s'est principalement servi. Nous avons largement utilisé les travaux de nos devanciers et plus particulièrement ceux de nos maîtres Jacques Flach, Achille Luchaire, Siméon Luce, et ceux de MM. Ch -V. Langlois, Emile Mâle, Joseph Bédier et Alfred Coville : ce nous est un agréable devoir de leur exprimer notre gralilude et notre admiration.

Fr. F.-B.

LA FRANGE FÉODALE

CHAPITRE PREMIER

SIÈCLES D'ANARCHIE

IX' et X" siècles. Les invasions barbares. Destruction des villes. Impuissance de l'autorilé souveraine. Les luttes civiles. L'anarchie. Destruction de la civi- lisation romaine. La société n'est plus gouvernée.

La nuit du ix® siècle... Que se passe-t-il ? A peine les docu- ments permettent-ils d'entrevoir un peuple épars, sans direction. Les barbares ont rompu les digues. En flots successifs les invasions sarrazines se sont répandues sur le Midi. Les Hongrois foulent les provinces de l'Est. « Ces étrangers, écrit Richer, se livraient aux plus cruels sévices ; ils saccageaient villes et villages et ravageaient leschamps; ils brûlaientles églises ; puis ils repartaient avec une foule de captifs, sans être inquiétés. »

Le resne [royaume] ont ars [incendié], gasté et escillié [dévasté] ; Assés enmainent de ces caitis [captifs] liés, Petis enfans et les frances moilliers [femmes], Les gentis homes mainent bâtant, à pié.

[Ogier le Danois, v. 401)

Par les fleuves arrivent jusqu'au centre de la France les Nor- mands, venus du Nord, « nageans par l'Océan en manière de pyrates ».

Chartres, au cœur du pays, s'enorgueillissait de son nom « la cité de pierre », U7'bs lapidum. Les Normands paraissent, Chartres est saccagé. De la ville d'Autun, Guillaume le Breton célèbre l'antiquité et les richesses ; mais ces richesses les barbares les ont dispersées, ce ne sont plus que halliers incultes, liserons et bruyères. « La contrée est dévastée jusqu'à la Loire, dit la chro- nique d'Amboise, au point que, dans les lieux s'élevaient des

i LA FRANCE FÉOnALE

villes prospères, vaguent les animaux sauvages, la plaint, mûrissaient les moissons, ne connaît plus que

Le chardon et la ronce aux épines aiguës ».

(Virgile, Bucoliques, V, 39,)

Et Paris? « Qu'en dirai-je, écrit Adrevald. Cette ville, naguère resplendissante de gloire et de richesse, célèbre par la fertilité de son territoire, n'est plus qu'un monceau de cendres ».

Dans le courant des ix^ et x^ siècles, toutes les villes de France furent détruites. Imagine-t-on les égorgements et les déprédations qui se concentrent en un pareil fait?

Dans les villettes rustiques les masures tombent en poussière, les murs des églises se lézardent, les toitures en sont crevées, les lianes envahissent les tabernacles le lierre s'agrippe aux cha- piteaux; la maison de Dieu se transforme en un repaire les renards se terrent, nichent les oiseaux de proie, l'on voit briller les yeux sans paupières des hiboux immobiles entre les toiles d'araignée.

Impuissants à leurrésister, nombre d'hommes d'armes s'unissent aux envahisseurs. On pille de compagnie. Et, comme il n'existe plus d'autorité principale, les luttes privées, d'individu à individu, de famille à famille, de localité à localité naissent, se multiplient, s'éternisent : « Et trois n'en rencontrent pas deux sans les mettre

à mort. »

« Les statuts des sacrés canons et les capitulaires de nos ancêtres sont annulés », écrit Carloman en son palais de Verneuil (mars 884) Les guerres privées deviennent coutumières. « En l'absence d'une autorité commune, dit Hariulf, les plus forts se répandaient en violences ».

« Les hommes se déchirent les uns les autres comme les poissons de la mer. » (Concile de Trosly.)

Chevauchées, rescousses, prises et reprises, et dont on jugera par ce que Richer dit de ce chef de guerre qui conduit son armée par le pays d'où l'ennemi tire ses vivres : il le ravage avec une telle furie « qu'il n'y laisse pas môme une cabane à une pauvre vieille tombée en enfance ».

Il n'y a plus de commerce. Terreur incessante. D'une main craintive on n'élève plus que des constructions en bois. Il n'y a plus d'architecture.

SIÈCLES D'ANARCHIE 3

Dès le temps de Charlemagne, sous sa grande autorité militaire, on aurait pu observer une société en dissolution ; et combien le désordre continuera de se brouiller par la suite. A la fin du x" siècle, subsistait-il une parcelle, si petite fût-elle, des conditions sociales, politiques ou économiques, établies en Gaule par les Romains, ou bien introduites, après eux, par les barbares d'une façon grossière?

Tout est modifié. Le moine Paul, qui vivait au xi' siècle, parle d'une collection de chartes dont les plus anciennes dataient au IX' siècle : « Quels changements ! Les rôles conservés dans Tar- moire de notre abbaye montrent que les paysans de ce temps vivaient sous des coutumes que ne connaissent plus ceux d'aujour- d'hui ; les mots mêmes dont ils se servaient ne sont plus ceux d'à présent. » Et plus loin : « J'ai trouvé les noms de lieux, de personnes, de choses, changés depuis lors à tel point que, non seulement ils sont abolis, mais qu'il n'est plus possible de les identifier : loin de les avoir conservés, les hommes les ignorent » (Cartulaire de Saint-Père).

Le paysan a abandonné ses champs dévastés pour fuir la vio lence de lanarchie, le peuple a été se blottir au fond des forêts oudeslandes inaccessibles; il s'est réfugié sur les hautes montagnes.

Les liens qui servaient à unir les habitants du pays ont été rompus ; les règles coutumières ou législatives ont été brisées; la société n'est plus gouvernée par rien.

SoDRCEs. Chron. de Nithard, éd. Pertz, SS. II, 642 72. Cfiron. de Nantes, éd. R. Merlet, Paris. 1896. Chron. des comtes d'Anjou, éd. Halphen et Poupardiii, 1913. Hickeri historiarum libri IV, éd. Waitz, SS. rerum germanicarum in usum scholarum, 1877. Adrevald. Miracles de S. Benoit, éd. Diichesne, Hist. Franc. SS. ill, 1661. Chron. d'Hariulf, éd. Lot, 1894. Garin Le Loherain, trad. P. Paris, s. d. (1862).

Tra VAOX DES HisTORiEVs. Beiij. Guérard. Prolégom. aupolyptyque de l'abbé Irminon, 1843. Fiistel de Coulanges. Hist. des inst. pol. del'anc. Fr., 1879-'J7, 6 vol. Jacq. Flach. Les Origines de l'anc. Fr., 1886-1917,4 vol. L. Reynjiud. Les Ori- gines de l'influence franc en Allemagne (930-1150). 1913. Imbarl de la Tour, Hist. de la nat. franc., dir. par G. Uanotaux, t. iil, Hist. pol. desongines à 151S s. d. (19iJi).

CHAPITRE II

LA FORMATION DE LA FRANCE FÉODALE

La famille. La vie commune se resserre à la famille. La motte de lerre et de bois. Le chef de famille. La famille agrandie. La mesnie. Le fief. La mesnie, en sétendant, forme le fief. Le baron est un ctief de famille. Devoirs réciproques du suzerain et du vassal. Sentiments de dévouementet d'affection qui les unissent. Les serfs. Les donjons de pierre. La hiérarchie féodale. La ville. Le château féodal est un atelier. Début du mouvement commercial.

j' Le château se peuple A^hourgeois. Goucy, La formation d'Ardres. Les châteaux etles villes à la fin du xi« siècle. Les seigneurs urbains. Les premières chartes communales. Meilhan en Bazadais. Les lignages. Les grandes villes du moyen âge se sont formées par une réunion de fiefs. L'assemblée communale. Le roi Le trône de France dans la seconde moitié du siècle. Compétition entre les descendants de Gharlemagne et ceux de Robert le Fort. Election de HugueCapet. Il représente sur le trône le baron féodal. Le roi est un chef de famille. La reine Lient le ménage de la royauté. Autorité de la famille royale. Les grands officiers serviteurs personnels du monarque. La maison du roi. Les ressources de la couronne. Le roi justicier. La hiérarchie féodale dont la royauté est le couronnement. La monarchie de caractère ecclésiastique.

La famille.

C'est f^ans cette anarchie que s'accomplira le travail r!e recons- truction sociale, par la seule force organisée qui fût demeurée intacte, sous le seul abri que rien ne peut renverser, car il a ses fondements dans le cœur humain : la famille. Au milieu de la tourmente la famille résiste, se fortifie; elle prend plus de cohésion. Obligée de suffire par elle-même à ses besoins, elle se crée les organes qui lui sontnécessairespour le travail agricole et mécanique, pour la défense à main armée. L'Etat n'existe plus, la famille en prend la place. La vie sociale se resserre autour du fojer ; aux limites de la maison et du « tinage » se borne la vie commune, elle se borne aux murs de la maison et à son pourpris.

Petite société, voisine, mais isolée de petites sociétés semblables qui sont constituées sur le même modèle.

LA FORMATION DE LA FUANGE FÉODALE 5

L'aspect du pays de France est redevenu d'une sauvagerie pri- mitive. Sur les terres en friche se sont étendues dos forêts vierges. Espaces incultes, mais où, de place en place, sur les hauleui's de préférence, on peut découvrir d'humbles groupes d'habitations, dont chacun constitue le domaine de ce petit Etat, la famille, les germes de la vie sociale se sont conservés. La famille vit dans son domaine clos d'une enceinte de palissades elle-même protégée par des fossés. La palissade est nommée le « hériçon » ; elle est formée de pieux effilés, plantés en terre, obliquement, la pointe agressive noircie au feu. Au milieu de l'enceinte, une motte faite de la terre prise aux fossés, sur laquelle s'élève une cons- truction en bois, une tour, le futur donjon. C'est la résidence du maître. Dans l'enceinte vit la famille comprenant parents, com- pagnons et serviteurs , elle y vit avec son bétail, les armes mêlées aux instruments de labour. Elle y possède des logements, des écuries, des hangars, des celliers et des granges.

Nombre de ces tours de bois subsisteront au xi" siècle. De l'une d'elles, le moine Aimoin, de Fleury-sur-Loire, donnera la descrip- tion. Elle se dressait à la Cour-Marigny non loin de Montargis : « La demeure de Séguin était une tour en bois... Dans l'étage supérieur Séguin vivait avec sa famille ; il y conversait, prenait ses repas et couchait la nuit. Dans la partie inférieure, un cellier, était gardé ce qui était nécessaire à la vie journalière. Le parquet de l'étage, fait de longues planches taillées à la doloire, portait sur des arceaux ».

Au haut de la tour, une « guette », ce qui veut dire un veilleur, scrute l'horizon.

Vers le sommet, la tour est entourée d'un chemin de ronde. Aucune ouverture n'y est pratiquée depuis le sol jusqu'au premier étage, percé de la porte d'entrée, l'on accède par un escalier de bois qui peut être démoli rapidement. La tour sur sa motte, qui domine l'enceinte extérieure bordée d'un fossé, est elle-même immédiatement entourée d'une enceinte protégée d'un autre fossé sur lequel a été jeté un pont-levis, lui aussi facile à détruire. Enfin, à l'intérieur de la grande enceinte, une place cir- culaire, dessinée par une rangée de pierres brutes, est réservée aux assemblées qui se tiennent sous la direction du chef de famille.

Aux abords de cet ensemble de constructions, on observe des remblais de terre, en manière de tumuli ; ce sont les tombeaux des devanciers, des parents décédés. Ils sont disposés de façon à

« LA FRANGE FEODALE

pouvoir servir de première ligne de défense. Ces constructions sont tout en bois, à l'exception de la motte proprement dite, des remblais et des tumuli faits de terre amoncelée.

Bien des années plus tard, l'historien de Guillaume le Maréchal parlera d'une de ces mottes primitives qui subsistait entre Anetet Sorel (1180) : une vieille motte abandonnée.

Oui assez ert [était] de povre ator [façon],

De hériçon ert close entor... (v. 3935)

Elle était enclose d'une douve profonde. Et jusqu'à nos jours, dans la Gironde, au lieu dit la Tusque (Sainte-Eulalie d'Ambarès), ont subsisté des restes de ces constructions, modeste origine des châteaux du moyen âge.

Les « mottes » se multiplièrent en France dans la seconde moitié du siècle. Dès le début du xi". on trouve mention de constructions défensives faites en pierre, établies sur des hauteurs d'un accès difficile, protégées par des ravins ou par des marais ; néanmoins les donjons de bois, construits au siècle, subsiste- ront en grand nombre au siècle suivant. Ils seront réparés, entre- tenus, si bien qu'on en trouvera au temps de Philippe Auguste.

Bien furent ^arni-es les marches,

Dès Bonsmolins de si qu'à Arches

N'eut [il n'y eut], ne de pierre ne de fust [bois],

Chastel qui bien garniz ne fust.

{Guillaume le Maréchal, v. 8H)

vit la famille, sous la direction de son chef naturel.

Au début de notre histoire le chef de famille rappelle le pater familiale antique. II commande au groupe qui se presse autour de lui et porte son nom, il organise la défense commune, répartit le travail selon les capacités et les besoins de chacun. Il règne, le mot est dans les textes, en maître absolu. Il est appelé « sire ». Sa femme, la mère de famille, est appelée « dame », domina.

A l'intérieur de chacune des résidences fortifiées que nous venons de décrire, est produit tout ce qui est nécessaire à la sub- sistance des habitants. Ceux-ci emploient sur place les objets qui y sont fabriqués. Il n'y a plus d'échanges; et quand ils reprendront, ils se feront d'abord entre voisins, immédiatement, d'une motte à la motte prochaine. La vie au reste est simple : c'est l'existence

LA FORMATION DE LA FRANCE FEODALE 7

agricole, immobile. L'homme peine, aime, travaille et meurt à l'endroit il est né. Le chef de famille est à la fois homme d'armes et agriculteur, comme les héros d'Homère. Les terres qu'il cultive sont groupées autour de sa demeure. Pour reprendre l'expression des économistes, elles y sont « agglomérées ».

La famille, sous la direction de son chef, est habile à construire sa demeure, à fabriquer des crocs et des charrues. Dans la cour intérieure rougeoient les feux de la forge les armes se façon- nent sur l'enclume sonore. Les femmes tissent et teignent les étoffes.

La famille est devenue pour l'homme une patrie les textes du temps la nomment patria. Et chacun l'aime d'un amour d'autant plus vif qu'il l'a tout entière auprès de lui. Il la voit vivre : il en sent immédiatement la force et la beauté, et la douceur aussi. Elle lui est une solide et chère armure, une protec- tion nécessaire. Sans la famille, dont il est un des éléments, il ne pourrait subsister.

Ainsi se sont formés les sentiments de solidarité qui uniront les uns aux autres les membres de la famille. La prospérité de l'un d'eux fera celle de ses parents, l'honneur de Tun sera l'hon- neur de l'autre, et, conséquemment, la honte de l'un rejaillira sur tous les membres du « lignage ».

Ces sentiments se fortifieront, se développeront, prendront une puissance de plus en plus grande, à mesure que la famille elle même prendra un plus grand développement, à mesure que l'œuvre accomplie grâce à elle, par elle, apparaîtra avec plus d'éclat; quand la « maison » aura été construite et que le « lignage » se sera étendu. Car la famille ainsi constituée ne restera pas réduite au père, à la mère, aux enfants, aux serviteurs.

Déjà elle s'est agrandie. L'esprit de solidarité, qui en unit les différents membres, renforcé par les nécessités du temps, en tient fixées au tronc les diverses branches. Les cadets et leurs rejetons demeurent groupés autour de l'aîné et continuent à recevoir de lui une direction commune. Cette famille élargie, qui comprend les cadets et leurs enfants, les cousins, les serviteurs et les artisans attachés à la maison, prend le nom de « mesnie » mesnie, du latin mansionata, maison. Ce groupe social, issu de la famille et qui en conserve les caractères, cette famille « majeure », va jouer un très grand rôle dans la première période de notre histoire nationale.

La mesnie comprend la famille, les parents réunis autour du

8 LA FRANCE FÉODALE

chef de la branche principale, les serviteurs, tous ceux qui vivent autour, pour et par la « maison ». A la tête de la mesnie, le seigneur revêtu d'un caractère patronal, paternel, comme l'autorité qu'il exerce. Un vieux dicton disait : « tel seigneur, telle mesnie », comme nous disons : tel père, tel fils.

La mesnie comprend les proches et les alliés les plus fidèles. Ils sont nourris, élevés, instruits aux travaux du labour et au métier des armes, avec les neveux, les descendants, les autres parents. L'esprit qui régit la mesnie, reste strictement familial. Eq plusieurs provinces de France, notamment en Bourgogne, aux XI® et XII® siècles encore, le mot « mesnie » désigne une maison et en prenant ce mot dans son sens concret. On donne en fief certains droits sur quelques « mesnies » d'un village.

Au long aller, par l'extension de la famille et par les liens d'une parenté fictive qui y rattachent nombre d'étrangers, la mesnie arrive à compter un groupe d'hommes très important. La « mesnie privée », celle qui dépend immédiatement du seigneur, sera devenue au xif siècle si nombreuse que les forces en suffiront à une expédition militaire, quand il ne s'agira pas d'une « grande guerre ». On verra dans les luttes féodales, une mesnie défendre ou prendre une ville. Lambert d'Ardres parlera au xii" siècle des « multitudes infinies » qui composent les grandes mesnies seigneuriales. Le frère du prévôt de Bruges, au dire de Galbert, commandait à une mesnie de 3 000 amis et parents.

La mesnie a les yeux fixés sur son chef, son seigneur. Elle l'assiste de ses conseils, elle l'entoure en cas de détresse; les hommes valides le suivent dans ses expéditions.

Réunis autour de leur seigneur, ceux qui composent la mesnie doivent s'aimer les uns les autres comme les membres d'une famille, au point que cette affection réciproque, profonde et dévouée, qui unit les compagnons de la mesnie, en fait le caractère essentiel. Les membres d'une mesnie doivent avoir pour leur seigneur l'affection qu'on a pour le chef de famille et lui-même les doit aimer, protéger, mener en douceur. Dans liaoul de Cambrai le comte d'Artois voit ses hommes couchés « parmi le sablon ». Les ennemis les ont tués de leurs épieux carrés. « Sa mesnie est là, morte, sanglante: de sa main droite il la bénit; sur elle il s'attendrit et pleure ; les larmes lui coulent jusqu'à la ceinture ».

La famille, agiandie et organisée en mesnie, a ses artisans et ses laboureurs et qui en sont quand et quand les soldats sous la

L\ FORMATION DE LA FRANCE FÉODALE 9

conduite du chef ; elle possède une organisation morale sous la direction encore du chef de famille. Les membres de cette famille élargie sont unis en une manière de corporation ; ils se prêtent assistance mutuelle ; ils ont leur tribunal, cjui est le tribu- nal du seigneur, c'est-à-dire du chef de famille; ils ont leurs cou- tumes, leurs mœurs, leurs traditions ; ils ont leur enseigne, c'est-à-dire leur « cri » ; ils ont leur gonfanon « dont le fer est doré » ; ils se couvrent d'un même nom, le nom du seigneur, du chef de famille : ils forment la « mesnie un tel ».

La famille, en se continuant à travers les générations, affirmera ses traditions, les qualités dont elle sera fîère, qualités d'héroïsme et d'honneur. Plusieurs générations se sont succédé depuis cette brutale époque la famille était pour chacun l'abri néces- saire et, pour la famille encore, chacun veut travailler, combattre et mourir.

Cellule vivante d'où la France est sortie.

SoiRCES. Aimoin. Miracula S. Benedicli, éd. Mabillon, AA. SS.OTd. S.Ben. IV', 356-90. La Chançun de Guillelme, éd. Herm. Siichier, Bibliolh. normannica, 1911. Robert de Blois, Sâmmtliche Werke, Berlin, 1889-95, 3 vol. L'hist. de Guil- laume le Maréchal, éd. P. Meyer, 1891-1901, 3 voL Monlaiglon-Raynaud, Recueil des fabliaux, 1872-90, 6 voL

Travau.v des historiens. Jacq. Flach. Les Origines de l'anc. France, 1886-1917, 4 voL Karl Bûcher, die Enlstehung der Volkswirtsckaft, éd. 1898. Viol- lel-le-Duc. Diction, de l'Architecture, 1854-68, 10 voL in-8"et Diction, du mobilier, 1868-75, 6 vol.

Le fief.

De la Grèce antique, au début de son époque féodale, MM. Alfred et Maurice Groiset ont tracé le tableau suivant :

« Les populations cherchaient leur subsistance dans le travail dur et obstiné de la terre ; ni industrie active, ni grand commerce : une vie rude, pauvre, asservie et inquiète ; la guerre fréquente et, par conséquent, les incursions et les pillages : tout le monde avait les armes à la main. Au lieu de villes ouvertes, des enceintes fortifiées, bâties en pierres énormes sur des collines ; et des chefs de guerre qui défendaient l'homme des champs et lui don- naient asile derrière leurs remparts en cas de danger. »

Et tel aussi est le tableau que nous oftre la France à la fin du X* siècle :

10 LA FRANCE FEODALE

« Ce fut le temps, écrit Benjamin Guérard, chacun, afin de pourvoir à sa sécurité, se cantonna et se retrancha du mieux qu'il put. Les lieux escarpés furent habités ; les hauteurs se couron- nèrent de tours et de forts ; les murs des habitations furent gar- nis de tourelles, hérissés de créneaux, percés de meurtrières. On creusa des fossés, on suspendit des ponts-levis; les passages des rivières et les défilés furent gardés et défendus, les chemins furent barrés et les communications interceptées... A la fin du x^ siècle, chacun avait définitivement pris sa place ; la France était couverte de fortifications et de repaires féodaux ; partout la société faisait le guet et se tenait en embuscade. »

En ces « repaires », vivaient des hommes rudes et belliqueux qui pratiquaient les armes et le travail des champs. « Guillaume de Ponthieu, issu du sang des rois de France, avait quatre fils. Le premier n'aimait que les armes ; le second ne se plaisait qu'à la chasse ; le troisième s'adonnait aux travaux rustiques, heureux de serrer le froment dans ses granges, aussi son père lui attri- bua-t-il en fief le comté de Saint-Paul; quant au cadet, il se consacrait à l'élève du bétail : son père lui destinait un territoire accidenté, hérissé de halliers, de boqueteaux et de haies vives, avec des pâquis et des marais » (Lambert d'Ardres).

Hariulf décrit la contrée ainsi ordonnée et c'est précisément le Ponthieu : « Le pays est arrosé par des rivières et des sources d'eau vive ; il est planté de bois, il offre aux troupeaux des pâtu- rages et produit du blé. Les hommes en sont belliqueux. On n'y trouve point de villes, mais des châteaux forts. »

Tableau du pays de France au début de l'ère féodale.

La famille est devenue la mesnie ; et la mesnie, en se dévelop- pant, devient le fief.

Car un «forain » pouvait entrer dans la mesnie du seigneur par adoption. Etre adopté c'est, suivant l'expression de l'Epitome de Saint-Gall, ad alium patrem se commendare, se mettre sous l'autorité d'un autre père. Germe de la féodalité.

Le fief apparaît au xi® siècle comme une famille agrandie dont le suzerain est le père; aussi bien, pour désigner l'ensemble des personnes réunies sous le gouvernement d'un chef féodal, les con- temporains se servent du mot familia.

LA FORMATION DE LA FRANCE FÉODALE H

Le baron ce mot veut dire « maître » placé à la tête du fief, est un chef de famille. Celle-ci comprend l'ensemble de ses fidèles, ses smjets, et il convient de reprendre cette expression. Le baron appelle ses sujets sa « parenté » :

0(1 [avec] vos irai et mes grans parentés : A vingt milliers seromes ben nonhrés...

[Ogier le Danois, v. 4932.)

Famille dont les membres sont solidaires les uns des autres, comme ceux d'une même famille, qu'il s'agisse du bien ou du mal. « A vous sera la faute, dira un vassal à son seigneur, à moi est le dommage : et vous en aurez une part, car le dommage va à celui qui tient la seigneurie ; aussi m'en devez-vous garantir ».

Le seigneur doit à ses vassaux protection, assistance, subsis- tance. « En sa terre de Guînes, dit Lambert d'Ardres, le comte Arnoul faisait venir auprès de lui ses sujets et leur faisait du bien ; il les recevait dans sa demeure, dans sa famille : il s'occupait d'eux et les mariait sur ses terres. » Le vassal vient-il à mourir, le seigneur prend soin de sa veuve ; si elle est jeune, il s'occupe de la remarier; il prend soin de ses enfants.

Pour l'annaliste qui écrit la Chronique des comtes d'Anjou, GeofFroi à la grise tunique est le modèle des barons (x° et xi^ siècle) : « Il était habile à la guerre son bras témoignait de sa valeur ; altier et calme, il laissait fleurir en lui la clémence ; il aimait à faire largesse; ennemi de ses ennemis, il patronait [patrocinabatur^ virilement les siens : qualité des barons ».

Ainsi le seigneur est le « patron » de ses sujets ; le mot aussi est du temps. L'homme isolé est perdu dans la tempête :

Gent senz seignur sunt malement bailli. [Gens sans seigneur sont mal lotis].

[Chanson de Guillaume, v. 289.)

En retour le vassal est lié à son suzerain par les sentiments et les devoirs du fils envers son père ; il doit le servir avec amour, le suivre à la guerre, prendre son avis dans les affaires importantes, obtenir son consentement quand il se marie ou quand il marie ses enfants ; il lui doit affection, aide, fidélité ; et ces sentiments

12 LA FRANCE FEODALE

engendrés par cette parenté fictive que crée le lien féodal, mais inspirés par les liens et par les sentiments de la famille véritable, sont si forts, qu'ils l'emportent sur les obligations de la parenté elle-même.

Le vieux duc Aymon rencontre en Ardennes ses quatre fils qui sont en guerre contre son suzerain. Que va faire le vassal? trahir son « baron » en favorisant la rébellion de ses enfants, ou meurtrir son cœur paternel en portant les armes contre eux ?

« Hélas ! s'écrie-t-il, pourquoi mes fils n'ont-ils pas pris la fuite, pourquoi m'ont-ils mis dans l'obligation de leur livrer bataille? »

Et se mi fil [mes fils] i muèrent, mult aurai cuer marri!

Le comte Hermenfroi le soutient dans sa résolution :

« Nus hom de vostre eage, qui le poil ait flori, Ne se doit parjurer, por fil ne por ami,

Et qui son seignor boise [trafiil], bien a Deu relenqui [renié]. « Par mon chief. dist li dus [duc], je vos ai bien [entendu]. Jamais [mes fils] n'y aront trives [trêves], orendroit les desfi ! »

{Les Quatre fils Aymon, v. 2977.)

Et le vieillard, d'un cœur meurtri, envoie des hérauts à ses enfants pour se déclarer leur adversaire.

Ainsi le fief est la « maison » agrandie, et des milliers de fiefs se constituent par « les amples régnés ». En chacun d'eux le baron réunit sa famille propre, ses proches, les rejetons des branches cadettes, puis ceux qui sont venus se placer avec leurs biens sous sa protection. Les alleus, c'est-à-dire les terres libres, disparaissent. Elles sont sans seigneur, partant sans défense.

Et comme ce travail de coordination et de subordination se fait sans direction calculée, sans impulsion uniforme, l'ordre social s'agence en une confusion apparente, mais avec la vie et la saine verdeur, le beau tumulte de la forêt.

Le fief comprend ceux qui se sont attachés au seigneur en lui subordonnant leurs terres, et il comprend ceux que le seigneur s'est attachés par une concession de terres, ou bien encore par un don en argent, par une charge à sa Cour, ou par un autre bien- fait, par un autre « honneur », que le bénéficiaire relève de lui, en foi et hommage. Le nouveau vassal, en échange de la concession

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accordée par le seigneur, lui prête serment de fidélité, en plaçant ses mains dans les siennes, après quoi le baron lui remet une poi- gnée de terre, une branche d'arbre, une motte de gazon, symbole du fief concédé, champ, bois ou prairie, et, de ce moment, le vassal, saisi du bien que le suzerain lui a donné, devient son homme et lui doit son dévouement comme le seigneur lui doit sa protection

Sentiments qui vont faire de tous les habitants d'un fief, réu- nis sous l'autorité de leur suzerain, les membres d'une étroite patrie. Aussi bien le mot patria se trouve dans les documents pour désigner l'ensemble d'un fief, habitants et territoire, comme il s'y trouve pour désigner la famille et pour désigner la mesnie.

Les serfs.

A rintérieur du fief, sous l'autorité du seigneur et de ses vas- saux, vivent les serfs, les travailleurs ruraux attachés à la glèbe qu'ils cultivent durement. Le serf est le travailleur manuel fixé à la terre qu'il ne peut quitter. Il n'est pas homme de guerre et, sauf appel de son suzerain, il n'a pas le droit de porter des armes.

On voit des serfs qui possèdent d'autres serfs travaillant sous leurs ordres. Car dans la servitude, il y a des degrés. Les serfs ne peuvent se marier sans le consentement de leur seigneur ; au reste il en allait de même des vassaux, et du seigneur lui-même qui ne pouvait se marier sans le consentement du roi : conséquence de l'organisation familiale qui a formé l'Etat tout entier.

Le servage remplaça la servitude proprement dite lors de la dissolution de Tempire carolingien. On en trouve l'origine dans ce que les historiens ont appelé 1' « appropriation du sol », que pratiquèrent à leur profit les personnes de condition servile ; au fait, comme la pratiquèrent les personnes placées au degré supé- rieur de l'échelle sociale. On n'a pas assez remarqué que le servage constituait le degré inférieur de la vassalité. On peut l'assimiler à un fermage obligatoire.

La condition des serfs, qui commençait à s'améliorer, était encore très dure sur cette fin du siècle. En 998, un nommé Jti,tienne fait une donation à l'abbaye de Gluny en expiation de la violence qu'il a commise en faisant couper le pied à l'un de ses serfs. Vers la même époque, l'Eglise prononçait la peine de

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rexcommunication contre toute personne qui aurait fait mettre à mort un serf. Mais n'oublions pas que si le servage nouait le dur lien par lequel l'homme était attaché à la terre, il offrait par même en ce s rudes époques de grands avantages à celui qui s'y trou- vait soumis. Que si la terre tenait le serf, le serf tenait la terre; que si le serf était condamné à peiner sur la glèbe, du moins sa vie y était-elle assurée, et c'était là, pour lui, en ces temps de violente anarchie, une bénédiction. Le servage n'était pas l'escla- vage. Les obligations étaient déterminées Le seigneur n'ordon- nait pas à son plaisir. En un texte du xi^ siècle, nous voyons dès serfs refuser de transporter de la marne parce qu'ils ne l'ont jamais fait.

Le serf assurément travaillait pour son seigneur; mais le sei- gneur lui accordait, comme à tous ses « sujets », aide et protec- tion. Le guetteur, qui veille au sommet de la tour de bois, a jeté un cri d'alarme; à l'horizon des hordes barbares, ou les tourrageurs ennemis, ravagent la contrée. Le château s'ouvre au pauvre laboureur, à sa famille, à son bétail, à son « butin ».

Dans les années de famine, le serf trouve assistance auprès de son seigneur, tandis que l'homme libre, de condition modeste, meurt de faim. Entre le seigneur et le serf se répètent en effet ces mêmes sentiments d'union, de dévouement, d'affection réciproque que nous avons signalés entre baron et vassaux.

C'est la belle histoire d'Amis dans Amis et Amiles. Une lèpre hideuse ronge le jeune chevalier; il en devient repoussant à voir. Sa femme le chasse; à l'hôpital, nul n'ose l'approcher; mais deux de ses serfs vont le suivre dans sa vie errante ; ils le soignent comme une mère son enfant; ils iront jusqu'à mendier pour lui.

Et d'autres histoires plus touchantes encore et qui font penser à celle du bon vassal Renier dans Joiirdain de Blaye.

Un traître, Froraont, assassine son seigneur, Girard de Blaye, et cherche à faire disparaître jusqu'au dernier membre de cette famille dont il a tué le chef. Il reste un enfant, fils unique, que Girard a confié aux soins d'un de ses hommes, nommé Renier, et de sa femme Erembourc. Fromont l'apprend et il somme ces braves gens de lui amener le fils de Girard, qu'il veut tuer également. Et Renier et sa femme livrent leur propre enfant, qu'ils font passer pour celui de leur seigneur. Le poète peint la douleur de la mère qui accomplit son poignant sacrifice :

« La mère se met en route pour livrer son tils à ceux qui vonl

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l'égorger. L'enfant sourit, car il ne sait nulle félonie. Les beaux jours d'été vont revenir, pensait la mère, et je m'en irai, là-haut, sur les murs. De je verrai les enfants, les garçons de son âge; je les verrai jouer à l'écu, aux barres, à la quintaine, lutter ensemble et se renverser : et mon cœur en pleurera. »

Les textes du xir siècle montrent plus dune lois les paysans se levant en masse, dun mouvement spontané, pour la délivrance de leur seigneur dont ils ont appris la captivité.

Des serfs français du moyen âge on peut dire ce que le comte de Ségur écrira des serfs russes, au xviii'' siècle :

« Certains d'être toujours nourris, logés, chauffés par le pro- duit de leur travail ou par leurs seigneurs, et étant à l'abri de tous besoins, ils n'éprouvent jamais le tourment de la misère ou l'effroi d'y tomber. » Ajoutez la sécurité, si précieuse en ces siècles barbares, poiu* le travailleur des champs.

Le serf, il est vrai, ne possède rien par lui-même : ce qu'il possède fait retour à son seigneur après sa mort; mais cette âpre loi est corrigée par l'organisation des « maisons de village » dont les serfs font partie. « Mesnies » semblables à celles dont il a été question. Les biens s'y transmettent de génération en génération, éveillant l'intérêt des travailleurs à une prospérité commune. Per- sonnalité collective qui groupe les membres de la famille et se per- pétue en ses générations successives. Le serf y trouve un stimulant au travail et à l'épargne. Il peut vendre, acheter, réaliser des béné- fices. Et Ton vit parmi les serfs des hommes opulents, des hommes influents, de « riches hommes » comme on disait alors.

Les donjons.

Aux membres de la grande famille le donjon procure la sécurité, il leur donne l'indépendance. De sa hauteur imposante, la tour massive protège les siens.

« Huon de Cambrai, Gautier et Rigaut, ne pouvant espérer d'emporter la forte ville de Lens, se contentèrent de ravager la campagne environnante... Ce fut le terme de la chevauchée, car les terres d'Enguerran étaient trop bien défendues ( par le donjon qu'Enguerran de Coucy avait fait construire et que les Boches viennent de détruire criminellement) pour qu'ils songeassent à s'y aventurer » (Garin le Laherain) .

Dès le milieu du xi* siècle, on avait vu la motte, aux constructions

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en boîs, prendre plus d'importance, les enceintes se surélever, les fossés se creuser plus profondément.

Le fameux château du Puiset, décrit par Suger, a été construit au XI® siècle. Il offre la transition entre la motte du x^ siècle, faite de terre et de bois, et le château féodal, tout en pierres, du xii® siècle.

Le château du Puiset comprenait une double enceinte comme les mottes dont la silhouette a été dessinée plus haut. Une pre- mière enceinte est constituée par un fossé et une palissade; mais la seconde, l'enceinte intérieure, est déjà formée par un mur de pierre. Au centre, la motte châtelaine, sur une butte factice, la tour encore en bois.

Le château du seigneur féodal se compose donc essentiellement du donjon, c'est-à-dire d'une haute tour, carrée aux xi" et XII® siècles, ronde dans les siècles suivants entourée d'une vaste enceinte, palissade ou muraille, bordée d'un fossé. Le donjon était généralement construit sur le point le plus élevé de la terre seigneu- riale, parfois cependant à un endroit jugé faible au point de vue de la défense, afin de le renforcer. Au xi" siècle, le donjon sert encore de résidence au baron et à sa famille la plus proche; au XII'' siècle, il sera réservé à une destination exclusivement mili- taire ; alors, tout auprès, dans la même enceinte, on construira, pour servir de demeure à la famille seigneuriale, le « palais ».

Nous venons de dire que le donjon s'élève généralement sur une éminence. Une vaste enceinte suit la déclivité de la colline ; elle se trouve donc en contre-bas, on la nomme « basse-cour ». sera creusé un puits et seront aménagés une chapelle et des logis d'habitation pour les compagnons et pour les serviteurs du baron. Une seconde cour, attenante à la première car bientôt ce ne sera plus une cour concentrique est également entourée d'une enceinte : elle renferme d'autres logis, logent les arti- sans attachés au château, et des abris pour les « retrahants » du domaine, pour leur bétail et leurs biens, c'est-à-dire pour les habitants du fief qui, en cas de danger, viennent se réfugier avec ce qu'ils possèdent, à l'abri de la « ferté ».

De Sentis à Orliens peûsl-on estre aies [allé]

Et d'illuec à Paris arrière retornés

Et de Loon à Hains, par toutes les cités,

Ni trovissiés nul homme qui de mère fustnés

Qui ne soit en chastel ou m ton [tour] enserés.

{Les Quatre fils Aymun, v. 3221 . )

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Jusqu'au xii" siècle, seuls le donjon et l'enceinte intérieure seront *en pierre et le donjon ne le sera pas toujours, comme nous venons de le voir par le château du Puiset ; les autres constructions sont encore en bois, séparées les unes des autres, ce qui donne à l'ensemble l'aspect d'un campement plutôt que celui d'une résidence fixe. L'enceinte extérieure, entourée d'un fossé, se compose généralement encore de palissades : il arrive qu'elle soit bâtie en pierres sèches.

Parfois, en dehors de Tenceinte extérieure, mais compris le plus souvent dans l'enceinte même et protégés par ses palis, la vigne, le verger, le courtil du château, un jardin d'agrément, voire un petit bois ; le seigneur, la châtelaine et leurs hôtes y trouvent de verts ombrages chantent les oiseaux. Enfin, à l'extérieur des murs s'étendent les terres arables, « gaignables », des prés, des vignes, des bois, des saulsaies et des oseraies, des étangs s'ébattent les carpes mordorées, les tanches fugitives, domaine privé du seigneur.

palpite iâme de la petite patrie que l'esprit féodal a formée autour du « baron ».

On vit tels de ces castels défendus par un seul homme d'armes et qui suffit à sa tâche, car il a sous ses ordres les « retrahants » des environs, les habitants de sa « patrie », ses fidèles, vassaux et serfs, qui se réfugient avec famille, bétail et biens entre les murs du castel que le seigneur a construit avec leur concours.

Jusk'à cinquante liues poès [pouvez] aler errant, Ja n'i troveroit home, borgois ne païsant,